Dans son film „My Life My Life My Life in the Sunshine“, l’anthropologue et artiste Noha Mokhtar s’intéresse à la façon dont les jeunes se représentent eux-mêmes et le monde dans lequel ils vivent à travers Instagram. Elle a invité dix jeunes femmes et jeunes hommes entre 20 et 30 ans, vivant à Genève et qui sont des immigrés de deuxième génération, à remettre en scène leurs propres stories devant sa caméra. Le passage – du smartphone à la caméra 16mm – remet en question les modes de la représentation de soi: alors que la fonction miroir de l’écran du téléphone permet de prendre le „meilleur“ selfie, l’objectif de la caméra analogique n’offre pas de telles possibilités.

Six d’entre eux: Ayman (@aabd19), Bilel (@bemelki), Hang (@hangkellyy), Yasmine (@mokhtaryasmine), Moody (@moody.wara), Mounira (@mouunira) se sont retrouvés in real life pour discuter avec Noha (@nohawai) du making-of du film. La discussion est modérée par Cynthia (@cynkhatt).

cynkhatt: Pendant le tournage avec Noha, comment avez-vous vécu le fait de ne pas pouvoir vous voir? Et qu’est-ce que ça vous a fait quand vous avez vu le résultat ?

hangkellyy: J’étais un peu gênée.

mouunira: Moi j’ai pensé que ça allait être plus gênant que ça.

aabd19: Moi personnellement, j’étais assez à l’aise devant la caméra. Par contre ça m’a frustré de ne pas pouvoir voir le rendu et refaire si ça ne me plaisait pas. J’avais peur de ne pas être content du résultat. Mais au final, ça va. En fait avec Instagram, on se filme et on se dit pas qu’on va se revoir nous-mêmes.

moody.wara: Moi je m’aime pas, je déteste me voir. Partout où j’apparais,
je regarde jamais.

hangkellyy: Si quelqu’un fait une story de toi et te taggue, tu repostes pas?

moody.wara: Rarement.. Je peux reposter mais après je la regarde pas.

bemelki: Pourquoi pas?

moody.wara: Je m’aime pas.

bemelki: Hein?

moody.wara: Je m’aime pas, je m’aime pas sur la caméra.

aabd19: Mais ça peut changer ou pas?

moody.wara: Je sais pas. C’est pas un souci, je suis comme ça c’est tout!

hangkellyy: Donc quand tu postes c’est pour les autres?

moody.wara: C’est le principe. Quand je poste une story, c’est plus pour les autres que pour moi-même. Ça n’empêche pas que moi, je me kiffe de ouf!

hangkellyy: Donc tu reviens jamais pour regarder tes stories et les commentaires que les gens te font?

nohawai: C’est drôle, moi je regarde souvent mes stories!

hangkellyy: Je regarde trop aussi!

aabd19: Moi je regarde qui a regardé. Mais je ne re-regarde pas mes vidéos.

cynkhatt: Quand vous postez une story, c’est pour vos proches, vos potes, ou vous avez des comptes qui sont ouverts? Et si ils sont ouverts, est-ce que vous espérez que la story soit vue par des gens que vous ne connaissez pas?

moody.wara: 100 abonnements, enfin 100, pas „sans“, ou peut-être 150. Mon compte est privé.

aabd19: Moi j’ai un profil ouvert. Je sais pas si vous voyez c’est qui Van der Wiel, un joueur de foot… Lui et sa femme, ils étaient sur mes stories pendant un long moment. Du coup des fois je mets comme ça, pour voir si ça peut, je sais pas, toucher des gens, connus.
nohawai: Et qu’est-ce que tu espères?

aabd19: Franchement, en vrai, j’ai pas vraiment d’attente. J’ai pas de but. C’est juste comme ça, pour mon ego on va dire.

bemelki: Mais en soi, c’est vrai que les réseaux, sauf si on les utilise comme un outil professionnel, c’est plus pour flatter son ego. J’ai l’impression que souvent, sur ces réseaux, on erre sans aucun but concret ni sensé.

moody.wara: Flatter son ego. Tu parles de narcissisme en vrai. Après, par rapport à ça, je dirais que la définition de narcissisme a évolué depuis le temps. C’est-à-dire que par exemple toi, ce que tu postes, pour moi t’es pas narcissique. Mais y a 10 ans, si j’avais vu ce que tu postes, je me serais dit „putain c’est quoi ce gars, il est vraiment trop narcissique.“

nohawai: C’est quoi la différence alors?

hangkellyy: C’est devenu normal de se prendre en photo.

bemelki: Je crois que ça a été banalisé.

aabd19: Moi j’aime partager des selfies. A l’entrée de mon immeuble, il y a une belle lumière, et comme j’ai de la chance j’ai des beaux yeux, je les mets en avant à ce moment. J’en profite. Et j’aime aussi bien montrer mes cheveux, surtout quand je rentre de chez le coiffeur et que je suis frais. Mais si je montre mon compte Instagram à mon frère qui a 1 an de plus que Bilel, il va me dire la phrase type „tu te kiffes trop!“

nohawai: Mais moi c’est ce que je pense de vous tous aussi, hein!

aabd19: C’est notre génération, on a grandi comme ça. Mais en vrai c’est fictif, parce qu’il y a plein de personnes qui postent énormément sur les réseaux, on pense qu’ils sont narcissiques, mais en fait ils ont zéro confiance en eux.

bemelki: Souvent les gens ont besoin de reconnaissance aussi, en postant ce genre de trucs, pour avoir confiance en eux.

nohawai: Toi, par exemple?

bemelki: Moi la vérité, j’ai pas besoin de l’avis des autres, je vais pas regarder qui regarde mes stories, je mets vraiment parce que j’aime bien faire des belles photos, même des belles photos de moi, mais juste vraiment sans aucune attente, rien. Genre je le fais juste comme ça. Mais parfois, j’ai l’impression d’errer à rien faire. Tu vois ce que je veux dire?

hangkellyy: Mais pourquoi avoir du contenu du coup? Pourquoi pas juste te faire un Pinterest, pour toi?

bemelki: C’est vrai. Et ça m’a déjà traversé l’esprit de fermer mon compte. Mais oui, t’as raison, indirectement c’est pour les autres.

hangkellyy: Ca veut pas dire que tu attends la validation des autres. Mais quand t’as un compte Instagram et que tu y mets du contenu, tu te présentes.

bemelki: C’est un menteur celui qui dit que non. Mais après voilà j’ai pas d’attente et j’ai pas besoin qu’on me valide.

nohawai: Mais est-ce que vous postez tous des selfies?

bemelki: Oui, ça oui.

aabd19: Oui, souvent quand même
hangkellyy: Ca dépend quel selfie tu fais aussi.

mouunira: Oui! Il faut vraiment que je sois convaincue de l’image avant de la poster, et faut vraiment que je prenne du temps, faut que je la sente.

nohawai: Parfois quand je vois les selfies que Mounira poste, je suis un peu étonnée parce que je ne la reconnais pas sur ces images. Je me dis „c’est plus vraiment ma petite sœur là“.

moody.wara: Mais c’est qui Mounira au final? C’est qui le „vrai“ toi? C’est quand tu te lèves le matin et que t’es décoiffé, ou après t’être douché, ou après t’être mis tes crèmes et ton maquillage, ou quand tu te retrouves dans une belle lumière? C’est pas parce que tu t’embellis sur Instagram avec des filtres, et que tu ressembles pas à la vie réelle, que c’est forcément un fake de toi.

bemelki: Les critères de beauté ça a toujours existé. Et on est tous attiré par les choses qu’on trouve belles.

aabd19: Et propres surtout.

bemelki: Et du coup, on veut tous reproduire ce qu’on trouve beau.

nohawai: Bilel, quand tu dis que tu t’en fiches de ce que les gens pensent de toi sur Insta, je te crois pas vraiment.

bemelki: Moi, l’avis négatif des gens ne m’intéresse pas. Ca va pas m’affecter si on me dit cette photo elle est nulle à chier. J’ai assez confiance en moi. C’est dans ce sens. Mais si on me fait un like, bien sûr, c’est plaisant.
nohawai: Mais est-ce qu’on se fait vraiment des commentaires négatifs sur Insta? J’ai l’impression que c’est plutôt des „t’es trop belle“ et puis on répond „merci, c’est toi“…

mokhtaryasmine: Non, les gens ne le disent pas quand c’est négatif.

cynkhatt: Mais toi, Noha, t’as Insta aussi. Tu postes peut-être pas des selfies, mais tu postes quand même. C’est quoi la différence?

mokhtaryasmine: Personnellement je comprends pas ce que tu postes. Toi, peut-être, tu te demandes pourquoi on poste des selfies où on se trouve belles, moi je vois pas pourquoi tu postes des photos de chaussures dans un tram.

nohawai: Haha! tu fais référence à l’image que j’ai partagée aujourd’hui en venant à Genève pour notre discussion. Pour ceux qui l’ont pas vue, j’ai pris en photo la pointe d’une chaussure à talon qui dépassait derrière la porte vitrée du wagon où j’étais assise. On ne voyait pas la personne, juste ce pied, solitaire. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’à la fois drôle et énigmatique dans cette image.

mokhtaryasmine: Ou tu postes des photos de pieds de gens qui portent les mêmes chaussures…

nohawai: C’est vrai. Peut-être qu’il y a une forme de critique dans ces images de gens qui sont habillés pareil. Des couples, deux amies, ou même deux personnes qui ne se connaissent pas mais sont assises l’une à côté de l’autre dans le tram. Les gens consomment les même produits, portent les même sneakers.

cynkhatt: Quand vous voyez le profil de Noha, vous vous dites quoi?

mouunira: Je pense „artiste“.

aabd19: Oui, voilà. C’est abstrait, c’est pas quelque chose que moi je comprends, mais je peux imaginer que ça plaise à certaines personnes.

hangkellyy: Toi t’as ton monde, tu postes comme t’as envie de poster, je me dis que pour toi y’a un sens. Mais quand, inversement, tu regardes mon compte, je me demandais si tu allais me juger.

mokhtaryasmine: Mais est-ce que tu oserais poster un selfie, où t’es juste belle, sans ce côté ironique que tu décris?

nohawai: Hmm… je crois pas.

cynkhatt: On poste des choses qui sont acceptées dans notre communauté –vous vous restreignez à ne pas poster des choses comme Noha– au-delà de l’esthétique c’est parce que vous voulez faire partie d’un groupe. C’est par souci de sociabilisation.

nohawai: En dehors du selfie, il y a cet aspect lifestyle que je trouve fascinant et que j’ai voulu traiter dans le film… On photographie son quotidien, une crêpe party, un brunch, l’apéro en fin de journée… Mais il y’a des choses qu’on va pas photographier, nos toilettes par exemple.

aabd19: Ben oui forcément on photographie ce qui est beau, ce qui nous plaît.
nohawai: Mais est-ce vraiment qu’une question d’esthétique? Les images qu’on poste, est-ce qu’elles doivent toujours être belles?

moody.wara: Je pense que c’est un peu faux de dire qu’on poste ce qu’on aime. Il y a des critères auxquels tu dois répondre. Quand Yasmine dit à Noha qu’elle comprend pas ses posts, c’est parce que justement ils ne correspondent pas aux critères de son monde insta à elle. Moi typiquement, je vais poster des moments drôles avec mes potes au resto. Mais les moments les plus drôles que j’ai vécus avec eux c’est au réveil, où je ressemble à rien. Je vais jamais le poster, parce que ça répondra pas aux critères de beauté et de propreté d’Instagram. Donc quand on dit qu’on poste ce qu’on aime, c’est hypocrite. Celle qui est le plus libre par rapport à ces critères c’est Noha, parce qu’elle va même poster des photos de chaussures dans un tram, ce que personne ne fait. Et elle s’en fout totalement de ces critères. Alors que nous, instinctivement, on a ces critères qui sont ancrés en nous et si c’est pas beau, selon les lois d’Instagram, on va pas le poster.

nohawai: Selon les „lois“ de „ton“ Instagram. A l’inverse, si je poste une photo de moi avec un filtre peau lisse et longs cils, les gens qui verront mon feed l’interpréteront que de manière ironique.

moody.wara: Mais y’a des tendances sur Instagram, des tendances que la plupart des gens suivent. Mounira, Bilel, Hang, ils correspondent à ces tendances. Toi Noha, même si tu réponds totalement à ta communauté, on peut dire que tu restes quand même marginale par rapport aux normes d’Instagram.

cynkhatt: Peut-être que c’est comme des micro-mondes qui ont leurs normes esthétiques propres. Je me demande, quand vous faites une story, vous êtes inspirés par d’autres stories que vous voyez sur Insta ou vous essayez de faire quelque chose qui se démarque?

mouunira: C’est les autres qui s’inspirent de nous!

bemelki: Voilà ouais!

moody.wara: Cynthia, t’as dit un truc intéressant: c’est que t’as quand même des normes. Par exemple à l’époque, la tendance c’était le boomerang. Tout le monde faisait un boomerang. Maintenant, sincèrement, tu fais un boomerang, à moins qu’il soit vraiment bien fait, ça fait pitié.
aabd19: Mais je trouve que d’être un peu différent aujourd’hui c’est devenu la norme.

cynkhatt: Un truc que je trouve fou avec Insta, c’est le seul réseau, il me semble, qui est vraiment démocratisé. Sur Facebook par exemple, t’as pas une star qui va aller voir ton profil. Insta donne l’impression que c’est vraiment d’égal à égal.

aabd19: Mais à part ça, Van der Wiel qui a commencé à me suivre par exemple, il me semble que c’est des robots qui cherchent potentiellement des profils…

hangkellyy: Oui, c’est ça. Il a certainement un community manager qui travaille pour lui et qui va voir tous les profils susceptibles de le suivre lui. Tu vois, toi par exemple, peut-être que tu le suivais pas encore. Du coup tu te sens flatté, tu te dis „putain y a un footballeur qui me suit, je vais le follow back“. Lui il gagne un follower, tu vois?

mokhtaryasmine: D’ailleurs, est-ce quand les gens vous follow, vous vous sentez obligés de les follow back?

hangkellyy: Jamais.

aabd19: Je sens une obligation quand je connais la personne. Si je croise cette personne en vrai et que je l’ai pas follow back, je me sentirai mal.

moody.wara: C’est comme quand les gens te demandent „pourquoi tu m’as unfollow?“ ça m’énerve.

nohawai: Est-ce qu’on peut savoir quand une personne te unfollow?

aabd19: Y’a des applications pour ça.

nohawai: Mais non! Et du coup tu vois qui te unfollow?

aabd19: Oui. Moi je pars du principe que si quelqu’un que tu connais te unfollow, ça veut dire qu’il fait la star.
mouunira: Mais c’est pas faire la star de unfollow quelqu’un!

aabd19: Si tu veux me unfollow, désabonne-moi de toi aussi. Tu vois? Retire-moi de tes abonnés.

cynkhatt: Mais ce footballeur qui s’est mis à te suivre, même s’il a un community manager, lui-même il est sur son téléphone…

bemelki: Tout le monde est accessible, tout le monde est au même niveau.

mouunira: Instagram c’est aussi super facile à entretenir. Je pense que derrière les pages de stars, c’est vraiment les stars qui s’en occupent. J’avais vu un post une fois, sur une grosse page qui met de l’actu américaine, y’avait quelqu’un qui disait „ah mais c’est trop fatigant ces stars elles sont devenues trop accessibles“ et en fait c’est vrai, t’as plein de stars qui postent leur quotidien et puis qui se commentent entre elles. L’idée d’être fan de quelqu’un c’est devenu un peu dépassé. Par exemple j’étais très fan de Beyoncé quand j’étais petite. Maintenant, y a plus vraiment d’intérêt. Elle est trop accessible en quelque sorte.

cynkhatt: Mais est-ce que c’est eux qui se sont banalisés, ou c’est tout le monde qui est starifié? Quand on regarde comme tout le monde se met en scène, l’esthétique et le soin méticuleux apporté à son image, c’est un peu comme si tout le monde était devenu une star.

mouunira: Je pense que ça va dans les deux sens. Par exemple si une fille super connue va mettre en avant le compte de Hang, elle peut devenir connue du jour au lendemain, en faisant rien. Donc ça peut aller vite dans les deux sens.

hangkellyy: Mais dans un monde qui n’existe pas! Prends Beyoncé par exemple, c’est une star, elle vit dans un monde qui est, réellement, pas accessible pour nous, alors que sur Insta oui, c’est dans ce sens-là que je dis que c’est pas réel.

moody.wara: C’est archi vrai ce qu’elle a dit. Tout le monde est starifié. Typiquement
le profil de la personne qui met que des stories en vacances, dans des beaux restos,
et qui poste que des trucs hypés… Y’a un sentiment d’inaccessibilité à cette personne. Par exemple, imaginons y a une fille à qui je veux écrire et que je la vois en mode vacances, je me dis que si je lui écris elle va pas me calculer. Alors qu’en fait c’est une fille de Genève, et je vais la croiser dans la rue et je vais me dire mais putain en fait c’est elle. Et pareil pour les mecs. Moi, j’ai plusieurs amis qui sont trop matrixés par ça et qui sont trop chauds. Tu regardes leurs Insta, ils sont trop stylés, ils mettent que du Dior, ils mettent une sacoche LV, alors que les mecs ils travaillent avec moi au cinéma, ils vendent des popcorns! J’ai un pote à moi je te jure, on voulait aller dans une soirée, il voulait pas prendre le tram avec moi. Il m’a dit „frérot, je peux pas prendre le tram, je prends un Uber“. Alors que c’était un Servette-Gare. Sur ma mère il a pris un Uber.

cynkhatt: Mais pourquoi?

moody.wara: Parce que lui, ses stories, c’est que du LV…Il joue un rôle.

hangkellyy: C’est dans ce sens-là que c’est un monde qui n’existe pas.

cynkhatt: Oui, mais j’ai l’impression qu’Insta pour les gens de votre génération, c’est un langage en plus qui est presque devenu obligatoire.

hangkellyy: Oui, c’est un outil sociétal. L’image qu’on donne de nous dans la société, c’est essentiel.
moody.wara: C’est pour ça qu’on peut pas trop dissocier les deux mondes. Y’a être et paraître, mais maintenant ça va tellement loin, que c’est parce que je parais comme ça que je vais devenir comme ça. Donc comme mon pote, il s’est donné cette image, donc il est devenu cette image.

nohawai: Mais ton pote qui a pris Uber au lieu de prendre le tram, il a un boulot aussi?

moody.wara: Mais en vrai c’est ça en fait, il est fonctionnaire, il taffe dans un bureau. Y’a personne qui le voit, il taffe que avec des papas de 35 ans. Lui il est jeune, il a mon âge. Donc c’est qu’avec des gens qui sont pas sur Instagram. Quand il est au boulot il a cette casquette-là, mais quand il va en soirée, c’est forcément grosse table VIP, soirée privée et tout, jamais il va faire des trucs casual, que nous on fait tous.

mokhtaryasmine: Vous seriez capable de supprimer Insta?
bemelki: Moi je pense, oui.

aabd19: Moi j’en suis capable, mais j’en ai pas envie.

mouunira: Quand il y a eu la panne, j’espérais que ça supprime tout chez tout le monde. Parce que chaque matin, alors que j’ai même pas pris conscience que je suis réveillée, je me retrouve déjà sur Instagram, et tout ce que je vois je ne m’en souviens pas. Ca m’énerve de plus en plus parce que je me dis c’est du temps perdu. Cinq minutes de ma vie éveillée où j’ai complétement zappé.
moody.wara: Mais c’est pas Insta, c’est le fait de réfléchir comme ça qui est nocif pour toi. Le fait que tu vois chaque minute comme perdue, c’est ça qui est dangereux en vrai.

bemelki: On peut pas tout contrôler, c’est comme ça la vie. Moi aussi ça m’arrive de me dire que j’ai passé trop de temps sur Insta ou Youtube à regarder des trucs, mais au final, si je l’ai fait, c’est que j’en avais besoin.

moody.wara: Pour moi, ce que Bilel vient de dire, ça montre qu’il a le contrôle. Le fait d’accepter que t’as pas ce contrôle, en soi c’est une forme de contrôle.

cynkhatt: Y’a toujours quelqu’un qui contrôle derrière, qui tire les ficelles. Y’avait un temps on lisait que les personnes qui avaient créé Facebook ou Insta, étaient elles-mêmes réticentes à utiliser des smartphones, les réseaux sociaux et toutes ces applications. Toi, ce que tu dis c’est „j’ai pas le contrôle, ils l’ont sur moi, mais c’est ok“.

bemelki: Alors moi je vois pas du tout ça comme ça. Je pars du principe, et c’est ma philosophie de vie, que t’as ton cheminement, t’as toutes les choses que tu dois appliquer dans la vie, mais au final si les choses se passent c’est qu’elles doivent se passer. Un contrôle absolu, c’est pas possible. Après, je peux m’imposer une discipline, mais si je vais m’égarer sur Instagram, je vais jamais me dire que c’est la faute des gens d’Instagram, je me dis juste qu’à ce moment-là j’étais dans un autre délire et que j’avais besoin de passer du temps par là. C’est se donner bonne conscience que de se dire que voilà, tout ça c’est fait pour nous rendre débiles.
On se trouve des excuses.

cynkhatt: Pas débiles, mais ça nous pousse à consommer!

bemelki: C’est ça en fait on va se trouver des excuses au lieu de se dire qu’en fait c’est nous qui avons pas le contrôle, tu vois?

cynkhatt: Ca a été prouvé… L’addiction aux médias sociaux.

moody.wara: Maintenant faut accepter d’être matrixé.

bemelki: Le secret c’est l’acceptation.

cynkhatt: C’est horrible ce que vous dites!

hangkellyy: Être conscient du jeu dans lequel tu entres. J’accepte les règles, mais je décide quand j’y joue, tu vois?

cynkhatt: Moi j’ai cette peur qu’on soit formaté pour consommer et qu’on soit là à être lobotomisé au point de ne plus avoir l’énergie, comme tu disais, de baisser les bras en se disant que le monde il est comme ça et qu’on doit faire avec, alors qu’en fait il y a plein de trucs qui vont pas dans le monde. Moi j’ai peur qu’on soit réduit à poster un carré noir pour Black Lives Matter et rien faire de plus.

nohawai: Un élément qui est absent du film, c’est la question politique. Comment Instagram peut-il être utilisé comme medium pour faire passer des messages politiques, ou devenir un outil d’activisme? Reposter le drapeau palestinien, c’est politique ou c’est lifestyle?

aabd19: C’est politique!

moody.wara: C’est les deux. Regarde BLM, ça a duré un mois à Genève.

aabd19: Le nombre de personnes qui sont allées aux manifestations pour prendre des photos à mettre sur Instagram, c’était aberrant. Plein de gens venaient avec leurs affiches, ils se prenaient en photo ou en vidéo et ils repartaient.

mouunira: Quand tout le monde s’est mis à poster des carrés noirs, des hashtags, à montrer leur soutien à BLM à travers Instagram, j’ai hésité longtemps à poster aussi. Mais au final tout mon entourage s’est mis dans ce mode-là, et je me suis dit que si je participais pas, c’est comme si j’y croyais pas, que je soutenais pas la cause. Alors j’ai posté le carré noir, et ça a un peu apaisé ma conscience.

bemelki: Mais tu pourrais aussi le voir différemment et te dire qu’Instagram permet justement d’imposer cette visibilité au monde. Voir ça comme un moyen de pression plutôt qu’une tendance à laquelle tout le monde participe bêtement.

mouunira: Oui, mais si tu postes en story un pantone brun, ça va rien changer à
la planète.

aabd19: Ça change rien, mais si tout le monde le fait, ça va commencer à changer
les choses.

moody.wara: Mais là on fait un procès d’intention. Typiquement tu peux le voir de deux manières différentes. Je sais pas si vous vous souvenez, mais Nusret avait posté une photo lambda qu’il avait prise dans la rue avec un renoi. Ça c’est clair tu peux dire que c’est opportuniste. A l’opposé, quand tout le monde postait du bleu, ça a fait pression sur Zara, Adidas et d’autres marques qui ont dû prendre des mesures par rapport à l’exploitation des Ouïghours en Chine.

mouunira: Je me suis sentie déprimée à l’idée que poster un carré noir et un carré bleu soit mon seul moyen d’action. Poster une photo sur Instagram pour BLM c’est pas suffisant, il y a plein d’autres manières pour dénoncer le racisme.

aabd19: Mais à notre échelle tu veux faire quoi de plus?

mouunira: Je ne contredis pas l’impact d’Insta. Mais moi, sur le moment, je me suis sentie coupable de le faire pour ma bonne conscience.

bemelki: Mais si tout le monde se dit, comme toi, que poster ça sert à rien, au final y’a pas de visibilité. Tu vois?

nohawai: Et pour finir, est-ce que vous pourriez me décrire votre post préféré, ou la story dont vous êtes le plus fière?

hangkellyy: C’est une série de selfies dans l’ascenseur. Je tiens mon téléphone devant le visage et dans l’autre main, un bouquet de fleurs. Je répète la même photo tout au long de l’année et je les cumule dans ma galerie photo avant de les poster toutes en même temps en octobre novembre. Une rafale de moi avec des fleurs.

aabd19: C’est une photo de moi quand j’avais les cheveux longs, suivi d’une photo de mon quartier. Un mélange de mon quartier, Châtelaine, que j’aime beaucoup et de mes cheveux que j’aime beaucoup aussi. C’est l’après-midi, et la lumière à l’entrée de mon immeuble fait ressortir mes yeux. Ils sont verts-gris-bleus. Mes cheveux brillent, je me trouve beau. Je tiens mon téléphone à hauteur d’épaule. Je fais d’abord un selfie, et après, sans bouger ma main, j’inverse la caméra et je prends en photo les immeubles d’en face, avec le ciel.

mokhtaryasmine: Mes stories préférées, c’est avec mon chien Blacky.

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